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Photo du rédacteurAmy Roads

Quatre étoiles sur cinq


C’était un sentiment étrange d’être de retour devant cette enseigne kitchissime de l’Hotel et Casino Tranquillité, ça faisait un sacré bail. Le bâtiment a l’air d’être dans un état de délabrement beaucoup plus poussé que lors de ma première visite. Ce qui est étonnant lorsqu’on se rappelle de la flamboyance des lieux autre fois. Même le panneau néon portant le nom des lieux ne brille plus de ces mille éclats d’antan. Seules cinq ou six lettres émettent encore une lumière rouge bien fade comparée à ce qu’elle a pu être auparavant. Malgré ça, le tout a toujours autant l’air d’une grosse blague. 


Marc n’est pas là pour m’accueillir cette fois-ci. Il faut dire que je suis là de ma propre volonté, par nostalgie. Je ne suis plus celle que j’étais. Et je pense qu’un hôpital psychiatrique n’est plus la solution adéquate pour m’aider à me sortir de mes mauvaises passes. J’ai beaucoup changé en toutes ces années. 


L’intérieur est encore plus surprenant que l’extérieur quant au niveau de délabrement. Toutes les couleurs éclatantes de la décoration sont maintenant fanées. Les tapisseries, à moitié arrachées, paraissant fades, les tapis, fades, les meubles, pour ce qu’il en reste, fades également. Tout semblait fade et sans vie. Et ça m’a rendu un peu triste. Après tout, j’avais fait partie de ces lieux, j’avais été une parmi d’autres, un tout bien distinct, mais un tout quand même. l’Hotel et Casino Tranquillité avait été en moi et maintenant il n’en restait plus grand chose. 


  • Qui est là ? Demanda une voix non loin moi. 

  • Marc ? Est-ce que c’est toi ? 

  • Qui est là ? Répéta la voix.

  • C’est moi !

  • Qui moi ? 


Je m’approcha de lui, il était assis par terre, seule, dans un coin. C’était bien Marc, le Marc du bon vieux temps mais avec un aspect beaucoup plus négligé qui s’accordait parfaitement à l’apparence des lieux. Je m’assis à côté de lui et il releva la tête, tournant son visage vers moi. 


  • La fille qui avait la peau sur les os ? 

  • Oui c’est ça, mais tu peux m’appeler… 

  • Non ! Stop ! 

  • Ah oui, pardon, j’avais oublié. Oui c’est moi, la fille qui avait la peau sur les os. 

  • Tout a commencé a aller mal dès que tu as quitté les lieux. 

  • Je m’en doute, mais n’étais-ce pas le but même de mon séjour ici, la guérison. 

  • Mais es-tu vraiment guérie ? 

  • Non, je ne crois pas. 

  • Je crois que c’est pour ça que ce lieu est devenu si décrépi. 

  • Oh mon pauvre Marc. Les autres ne sont pas revenus non plus ? 

  • Les autres sont toi, ils n’avaient aucune raison de revenir. Et toi tu ne le souhaitais pas. 

  • Pourquoi l’aurais-je souhaité ? 

  • Tu n’as plus besoin de nous. 

  • Si, mais d’une manière différente. Viens, Marc, lève-toi, marche un peu avec moi. 


Il fit ce que je dis et se leva, nous nous mimes à faire le tour de l’hotel, piece par piece, chambre après chambre. Il ne restait vraiment plus rien de la splendeur d’antan des lieux. Même si le tout m’avait toujours semblé de très mauvais, la tristesse des lieux recelait quelques chose de triste en elle. Mais je suppose qu’ainsi va le temps et ses ravages. Il passe et tout évolue sur son passage et nous n’avons plus besoin des mêmes choses de la même manière. 


  • Cet hotel était un endroit splendide ! Dit Marc avec nostalgie. 

  • Je sais, mais il n’était pas fait pour l’être. Moi aussi parfois je regarde vers ces temps-là avec nostalgie. 

  • Pourquoi revenir maintenant ? 

  • Parce qu’il le fallait, parce que j’en avais besoin peut-être. 

  • Il me manque tous. 

  • À moi aussi parfois, mais ce n’est pas bien. 

  • Non ce n’est pas bien. 

  • Il faut que tu trouves un autre but dans la vie, tu ne peux pas continuer à maintenir cet hotel à flot. 

  • Cet hotel est moi et je suis cet hotel, il n’y a pas d’autre but. 

  • Il y a toujours un autre but même si celui consiste à cesser d’exister. 

  • Tu veux que je cesse d’exister ? 

  • Là n’est pas la question. 

  • Pourtant si, c’est exactement là qu’est la question.

  • Peut-être oui, mais c’est difficile. 

  • C’était difficile aussi avant, quand tu es venue pour la première fois à l’Hotel et Casino Tranquillité, mais tu as réussi. 

  • Je ne pense pas avoir réussi. 


Nous continuâmes à marcher en silence. Nostalgique, triste et confus. Enfin, nous arrivâmes jusque’à mon ancienne chambre, celle que j’avais occupé durant mon bref séjour. 


  • C’est surprenant, elle n’a pas un aspect aussi délabré que le reste du bâtiment. 

  • Tout comme toi ? 

  • Moi ? Mais je ne suis pas un bâtiment. 

  • Es-tu sure de ça ? 

  • Oui relativement sure.

  • Viens, continuons la visite. 


Seule ma chambre avait l’air d’avoir survécu aux intempéries qui avaient provoquées l’état de délabrement dans lequel se trouvait le reste de l’hotel. La salle de séjour, triste, la cafétéria, triste, la piscine, crasseuse. Il ne restait plus rien de l’Hotel et Casino Tranquillité. 


  • Et maintenant on fait quoi ? Demandais-je à Marc après notre visite. 

  • On s’assied sur les transats.  

  • J’avais oublié qu’il y avait une piscine ici, dis-je une fois que nous nous fumes installés sur les transats crasseux. 

  • C’est parce que tu avais d’autres préoccupations à l’époque. 

  • Je me demande bien quel est le but de ma visite. 

  • La nostalgie surement, tu as toujours été une personne très nostalgique. 

  • Ah bon ? 

  • Tout à fait. 

  • Je n’aurais jamais dû revenir, mais je pense souvent à eux. Au garçon boule, à la fille au deux visages, au garçon au coeur pourri et à la fille qui avait peur de son ombre. Mais surtout au garçon boule, je pense que ça a été la perte la plus difficile. Je les ai tous connu à cette époque particulièrement difficile de ma vie et un à un ils s’en sont allés, laissant un vide en moi et pourtant me rendant pleine à nouveau. Je n’ai pas oublié ton enseignement Marc, je comprends qu’ils devaient tous disparaitre un à un pour que je me réveille, mais parfois ils me manquent et parfois c’est comme s’ils étaient toujours là et j’ai peur. 

  • Ils sont toujours là mais ils sont différents, tout comme toi, tu es devenue différente. 

  • Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

  • Aucune idée.

  • Tu ne peux pas laisser cet endroit se décrépir davantage

  • Tu as raison ! Mais que faire ? 

  • Ce que tu as tout le temps fait je suppose. Gérer l’Hôtel et Casino Tranquillité du mieux que tu peux, le rendre hospitable à nouveau, y accueillir les âmes perdues comme moi. 

  • Tu reviendras me rendre visite ?

  • Toujours !


Je quittai l’Hôtel et Casino Tranquillité sur cette note d’espoir, espérant avoir redonné à Marc le gout de vivre, espérant également, lors de ma prochaine visite retrouver la splendeur des lieux d’antan. Car une chose m’apparut comme certaine à ce moment précis, je serais de retour. Peut-être ne devrais-je pas, mais c’est ainsi, il le faut. Je reviendrais. 


Donc je suis revenu, comme je l’avais promis à Marc. Agréable surprise, le néon de l’enseigne, tout en haut du bâtiment, brille à nouveau de mille feus rouges. Hôtel et Casino Tranquillité, en toute lettre allumée. Magnifique. C’était comme la première fois, mais en mieux, car je pouvais voir ce panneau lumineux à travers des yeux nouveaux, des yeux guéris. C’était merveilleux. 


Et l’intérieur, l’intérieur ! Flamboyant, grandiose, extraordinaire. Et dire que je n’avais jamais remarqué avant la magie du lieu. Marc s’était surpassé, il faut le dire, pour redonner une âme à ce lieu emblématique de ma vie. En parlant de Marc, il n’était pas à l’accueil, attendant l’arrivée de nouveaux occupants. Mais peu m’importe, cela me laissa plus de loisir à observer la beauté des lieux.


Le revêtement de sol était somptueux, d’un brun profond et à n’en pas douter très doux au toucher. Je me suis d’ailleurs empressée de retirer mes chaussures pour en avoir le coeur net et effectivement  jamais mes pieds n’avaient touché de texture plus moelleuse. Les murs avaient également retrouvé leur gloire d’antan, d’un brun chaleureux traversés par des motifs lignés oranges et crèmes. Le tout était très chaleureux, encore plus que lors de ma première visite. Les meubles brillaient d’un éclat nouveau, leur bois verni éclairait à la lumière. Les fauteuils rouges, verts, bleus égayaient les pieces comme jamais auparavant. 


Bien sûr, je ne pus m’empêcher d’aller visiter les nombreuses chambres, espérant y retrouver la flamboyance d’avant. Et je ne fus pas déçue. Chaque chambre avait sa propre personnalité, rouge monochrome et toute en rondeur pour l’une, bicolore verte et mauve pour une autre, ou encore bleue pale et tout en douceur ou pourpre violet. Chaque chambre me rappelait en quelque sorte la personne qui l’avait habitée par le passé, le garçon boule, la fille aux deux visages, la petite fille effrayée, le garçon au coeur pourrie. Tout était exactement comme il devait être, chaque chose avait retrouvé sa place. 


J’avais évidement gardé la visite de mon ancienne chambre pour la fin. C’est là que je retrouvai Marc, il m’attendais, assis sur ce qui avait été mon lit. La chambre était entièrement rose et orange, mes couleurs, mais découvrir la nouvelle splendeur de la pièce ne fut pas ma seule surprise. Près de Marc, posé pèle mêle sur le tapis, la chaise de bureau ou le lit se trouvaient mes anciens camarades. Ils étaient tous là, pas un ne manquait à l’appel. 


  • Vous tous, ici ?! M’exclamais-je.


Je ne savais pas s’il s’agissait d’une bonne chose de les retrouver tous ici. Est-ce que tout allait recommencer comme avant. Je n’en avais pas envie, le temps avait passé, les choses changées, il ne me semblait guère être une bonne idée de retourner en arrière. 


  • Rassure-toi, ce n’est pas une ambuscade, rigola le garçon boule, toujours avec la même bonhomie d’avant. Il n’avait pas changé. 

  • Ça en a tout l’air, pourtant, répliquais-je. 

  • Toujours aussi rabat-joie, commenta le garçon au coeur pourri d’un ton monocorde. 

  • Ah garçon au coeur pourri, comme tu ne m’avais pas manqué du tout. 

  • Du calme les enfants, s’interposa Marc. 

  • N’est-ce pas merveilleux de tous se retrouver, s’exclama la fille aux deux visages. 

  • Si, murmura la fille effrayée tellement bas que je n’étais pas sûre qu’elle l’ait vraiment prononcé. 

  • En fait, non, je trouve ça execrable de tous vous revoir, dit la fille aux deux visages.

  • Ça y est, double face est repartie ! Se moqua le garçon au coeur pourri

  • Bon les enfants, et si je voudrais la toute nouvelle super mega cool addition à l’Hotel et casino Tranquillité ? 

  • Est-ce qu’on est vraiment obligé ? Se plaignit le garçon au coeur pourri. 

  • Oh oui, trop bien ! Déclara le garçon boule en même temps. 

  • Marc, allons-y, je peux plus les saquer ces imbéciles, dis-je à mon tour.

  • Toujours aussi diplomate, rigola le garçon boule. 

  • C’est parti ! S’enthousiasma Marc. 


Il nous précéda, sortant de la chambre, nous tous à sa suite. Je marchais près de Marc, quelque peu en retrait des autres, directement derrière moi il y avait la fille effrayée, qui se collait à la fille aux deux visages. Et ensuite, fermaient la marche, le garçon boule et le garçon au coeur pourri, qui se chamaillait toujours. Nous primes tous les six l’ascenseur, lui aussi d’un grand luxe tout neuf, tout d’or et de bronze, directement le toit. Apparement, ce que Marc avait à nous montrer se trouvait près de la zone de spa. 


Une fois arrivé tout en haut, et avant de pouvoir sortir de l’ascenseur, Marc nous demanda, non en fait il nous supplia plutôt de fermer nos yeux pour la surprise soit complète. Je pense qu’à a ce stade personne n’avait le coeur de lui refuser quoi que ce soit, il y avait quelque chose de très attendrissant à son enthousiasme un peu puéril. Nous avons donc tous fermé les yeux, même la fille effrayée qui n’avait pas l’air sereine et nous nous sommes tous pris la main. Et enfin, guidés par Marc, nous avons progressé hors de l’ascenseur et après avoir effectué une série de virages, nous nous sommes arrêtés là où Marc nous l’avait indiqué.


  • Je vais compter jusque trois et à trois, vous ouvrez tous les yeux, d’accord ! 

  • D’accord, répondirent nous tous à l’unisson. 

  • 1… 2… 2,5…

  • Marc ! Nous plaignirent nous tous.

  • 3 ! 


Et là, quelle surprise. Devant nous, se dressait une espèce de structure qui avait tout l’air d’un food truc sauf qu’en grand, écrit en toute lettre, brillant d’un néon rose criard était écrit « Taqueria de la lune ». Je pense que personne n’avait compris le pourquoi de la présence d’une telle chose sur le toit, à côté de la zone spa, mais en tout cas cela avait l’air de rendre Marc heureux. 


  • Une taqueria, Marc, vraiment ? Ne pus-je m’empêcher de demander tout de même. 

  • N’est-ce pas merveilleux ! 

  • Pourquoi « de la lune » ? Demanda le garçon aux deux visages.

  • Parce que les tacos que nous y servons sont lunement bons !

  • Oh non, Marc t’as pas dit ça ! C’est ringard ! Se plaignit le garçon au coeur pourri. 

  • En tout cas, moi ça me donne drôlement faim ! S’écria le garçon boule.

  • T’as tout le temps faim, répliquais-je. 

  • Et toi, pas assez ! 

  • Gnagnagna ! 

  • Très mature, commenta la fille aux deux visages.


Nous avons tous fait un festin de la bonne nourriture proposée par la Taqueria de Marc. Même si j’avais été dubitative au début, je dois dire que c’était une excellente idée. La bonne humeur nous gagna tous immédiatement et nous avons tous mangé de bon coeur, même moi et c’est tout dire. Tout semblait si normal, comme cela aurait du être, comme si tous les éléments étaient à nouveau en place. 


Mais hélas, après tant de joie, il fut l’heure de nos quitter. Et comme la première fois, c’est un à un que mes compagnons disparurent sans un mot, mais cette fois-ci cela me sembla si naturel que je n’en fus pas du moins choqué. D’abord la fille aux deux visages, le garçon au coeur pourri, la petite fille effrayée. Et enfin, ce fut au tour du garçon boule. Sa présence me manqua immédiatement lorsqu’il disparut mais je savais que je n’avais rien à craindre, que cela ne durerait pas, il était en moi après tout, ils étaient tous en moi. 


Bientôt, il ne resta plus que moi ainsi que Marc, mais Marc serait toujours là, il ne pouvait en être autrement, il était l’Hôtel et Casino Tranquillité, sans lui, cet endroit n’existerait pas. Nous descendîmes du toit, par le même ascenseur, buvant un cocktail en attendant d’atteindre le rez-de-chaussée. Puis il me reconduit devant la porte d’entrée du bâtiment, à mon tour de lui dire au revoir. 


  • Bon, je suppose qu’il est temps de se dire au revoir, dis-je.

  • C’est exact, mais ce n’est qu’un au revoir, l’Hôtel et Casino Tranquillité sera toujours là pour accueillir les esprits égarés. 

  • C’est ce que j’aime à entendre. Je ne veux plus jamais revoir cet endroit dans un état de délabrement tel qu’il était quand j’y suis revenu ! 

  • Cela n’arrivera plus, l’Hôtel et Casino Tranquillité va persister et briller à partir de ce jour, tout ça grâce à toi !

  • Je reviendrais…

  • Tu ne dois pas.

  • Non je suppose que c’est vrai. Bon eh bien, au re…

  • Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? 

  • Attends, mais c’est qui celle là ?! M’exclamais-je en pointant une jeune fille du doigt. 


Elle était assise sur un canapé, près de l’accueil. Elle ne nous regardait pas, elle avait l’air trop concentrée sur ses doigts pour faire attention à notre présence. Je pense que le bâtiment aurait pu s’écrouler qu’elle ne l’aurait pas remarquer. En tout cas c’est l’impression qu’elle me donna. 


  • Ah ça ! Mais c’est la fille qui se mangeait les doigts ! 

  • C’est une blague ! 

  • Pas du tout ! 

  • Mais d’où elle vient ? 

  • Mais enfin, elle a toujours été là !

  • Ah non, tu ne vas pas recommencer !

  • Elle n’était juste pas prête à sortir. 

  • Super, tu auras de quoi t’occuper !

  • Tu ne veux pas aller lui dire bonjour ?

  • Nope, je te la laisse, je pense que je suis prête à me réveiller pour de bon, j’en ai ma claque !

  • Dommage, cela t’aurait permis de voir les choses en face, regarde-toi, même en ce moment, tu es en train de t’arracher la peau des doigts, ton pouce est en sang.

  • C’est un problème pour une autre fois, sur ce, je te laisse en bonne compagnie, qui sait, peut-être que tu pourras même lui prêter tes doigts si jamais elle venait à manquer de peau ! 

  • Un jour, tu y arriveras, je crois en toi et maintenant ouvre les yeux et oublie nous pour un moment. Adieu. 


Et j’ouvris les yeux, mais je n’oublia pas, comment aurait pu avec ce gout de sang dans la bouche. En tout cas Marc, tu as beau être particulièrement pénible, je te mets quand même un quatre étoile sur cinq pour l’Hôtel et Casino Tranquillité. 

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