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Photo du rédacteurAmy Roads

Steven

Dernière mise à jour : 7 nov. 2020


- Steven…

- Qui m’appelle ?

- Steeven…

- Est-ce que quelqu’un a dit mon nom ?

- Steeeeeven…

- Qui est là ?

- STEVEN !

- Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’est-ce que vous me voulez ?!

- Réveille-toi, Steven ! Réveille-toi ! Bon sang, Steven, tu vas te réveiller ?!


Ce n’était qu’un rêve. Pourtant ça avait l’air si réel. Mais peut-être qu’en fin de compte, il aurait mieux fallu se trouver dans un rêve.

- Ton père va arriver, Steven. Lève-toi ! Prépare-toi !

- Ou…oui mè…mè…mère…

Dans son rêve, il n’était pas ce misérable bègue qu’il était dans la vraie vie. Il n’était pas cet être hideux, déformé, bossu, boiteux. Ce monstre insupportable à la vision d’autrui. Son visage difforme faisait peur à voir.


Pas tout à fait celui d’un vieillard, mais pas tout à fait non plus celui d’un bébé non plus. Il était évident que quelque chose avait mal tourné lors de sa conception. Deux grands yeux aux pupilles tellement dilatées qu’elles paraissaient noires. On aurait pu croire qu’il n’avait que deux orbites profondes à la place des yeux. Ces cavités étaient recouvertes par d’épaisses paupières rendant le tout encore moins ragoûtant.

Cet aspect à la fois juvénile et ancien de son visage était indescriptible. Quand un regard étranger se posait sur lui, cela pouvait surprendre, voir dégouter. Ce mélange contradictoire était presque indistinguable causant un effet perturbant. Il était difficile de comprendre de quoi Steven était fait.

Boiteux de par une jambe droite plus courte que la gauche de dix centimètres, on avait l’impression qu’il trainait sa jambe gauche derrière lui tant l’écart entre les deux était conséquent.

Pas vraiment bossu, il marchait pourtant constamment le dos penché, recroquevillé de sorte qu’on aurait pu le croire tel. Cette démarche lui était en fait dû à une sorte de crainte, d’insécurité tout à fait normale pour son cas.

Son intelligence plus que médiocre et son bégaiement ne compensaient en rien son physique repoussant. Persécuté par son père et sa sœur parfait, abandonné par sa mère trop craintive et écœurée pour prendre sa défense, Steven n’avait rien pour lui. En plus de ça, il avait développé un caractère étrange et suspect qui rendait même les personnes les plus tolérantes mal à l’aise.

- Steven, bon sang, tu vas te bouger ? s’impatienta sa mère, le giflant pour le sortir de sa torpeur.

- STEVEN !!! hurla une voix venant d’en haut, Steven ayant hérité de la cave pour appartement privé. Il était hors de question qu’une abomination comme lui soit libre de s’exposer à la vue du monde.

- Tu es content, tu as énervé ton père, se frustra sa mère.

- Pa…pardon…m…mè…mè…

- Tais-toi bon sang !

Des pas lourds résonnaient déjà dans les escaliers en bois miteux menant à la cave. Bientôt, le père de Steven, grand, large et imposant apparut sous le seuil de la porte, la colère pouvant se lire sur son visage.

Il s’approcha, lentement, le regard mauvais. Steven sentait déjà la peur monter en lui. Il aurait dû se lever dès que sa mère le lui avait ordonné. Maintenant, il allait avoir des ennuis. Son père allait sûrement le battre, il ne manquait jamais une occasion de lui flanquer une bonne raclée. Peu importe la raison et parfois même pour rien, pour le pur plaisir de tabasser cette atrocité qui lui servait de fils. Dans ces cas-là, Steven se pissait toujours dessus, ce qui avait pour conséquence d’énerver d’avantage son père qui multipliait les coups sur son fils.

Un sourire mauvais se peignit déjà sur le visage du père de Steven quand celui-ci s’arrêta, les bras croisés, devant le lit où se trouvait son fils.

- Alors saleté, tu m’fais attendre, incrimina le père de Steven.

- N…n…non, père, bégaya Steven. Je…je suis… dé…dé…dé…

- Regarde-le, celui-là. Cet idiot est même pas capable d’articuler une phrase sans bé…bébé…bégayer, se moqua le père de Steven auprès de sa femme, rigolant de bon cœur à l’instar de son fils. Tu n’es pas mon fils. Tu n’es qu’un monstre hideux et dégoutant. J’aurais dû te tuer dès ta naissance.

- Arrête ! supplia la mère de Steven.

- Quoi, t’as que’q’chose à dire la cruche ?

- No…non, c’est juste que… Ne perdons pas notre temps avec cette abomination. Remontons, ne le laisse pas te gâcher la journée.

- Gâcher ma journée ? Ma vie entière est gâchée depuis que tu as mis cette chose au monde ! s’emporta le père de Steven en frappant son poing contre le mur.

- Pardonne-moi, s’excusa la mère de Steven, baissant la tête de peur.

- Mais tu as raison, mieux vaut pas laisser cette plaie nous pourrir encore plus la vie. C’est déjà assez qu’il existe. Laissons cette erreur dans sa cave, c’est tout ce qu’il mérite et encore, je suis cordial.

- Et Steven ?

- Quoi encore ?!

- Non rien…

- Steven ne mérite pas qu’on se préoccupe de lui. Il n’était pas à l’heure pour le petit-déjeuner, il fera tout le reste de la semaine. Ça lui apprendra ! cracha le père de Steven.

- Non ! Papa, attends ! s’affola Steven, sautant au coup de son père ce à quoi ce dernier réagit en projetant son fils à l’autre bout de la pièce où il vint s’écraser violemment contre le mur.

- Je ne suis pas ton père, salle merde !

Ce furent les derniers mots qu’entendit Steven avant le claquement de la porte de la cave et ça durant une langue semaine. Il resta allongé dans la position inconfortable qu’il avait adoptée en tombant pendant un moment, attendant que la douleur passe.

Puis il se mit à pleurer abondamment. Pourquoi la vie devait-elle être si injuste envers lui ? Il pleura, pleura et pleura. Longtemps. Tout en hurlant : « Père, père, père, PAPA ! ». Mais personne ne vint. Personne ne venait jamais quand il appelait. Ils ne l’entendaient d’ailleurs pas d’en haut, la pièce ayant été insonorisée de telle sorte qu’elle absorbait tous les bruits qu’il émettait.

Bien cela semblait impossible, Steven était encore plus repoussant qu’il ne l’était d’habitude. Les traits de son visage étaient déformés par la tristesse, le dotant d’une mine épouvantable. Son teint avait viré du jaune maladif à un vert qui faisait penser à du vomi, ses yeux gonflés, plein de larmes ruisselantes et sa morve au nez offraient une image peu ragoûtante. Quiconque aurait croisé son chemin à cet instant précis aurait pu en mourir sur-le-champ à cause du choc.

Quatre jours passèrent. Quatre longs jours seuls dans l’obscurité de l’humide cave. Steven était resté allongé près du mur où il avait été propulsé pendant les deux premiers jours avant de se relever péniblement et de boiter jusqu’à son lit.

Il n’avait fait que pleurer, se lamenter et hurler. Puis quand il eut rejoint son lit, au bout du troisième jour, il se calma, le silence retombant dans la pièce. Un silence de mort, interrompu à de rares occasions par les craquements de la pièce.

Le quatrième jour, Steven commençait à avoir faim, très faim. Il n’avait reçu aucune nourriture pendant son enfermement, il aurait pu manger n’importe quoi. Il commençait à se sentir faible, il avait besoin de manger quelque chose, sinon il risquait de ne pas tenir le coup encore très longtemps.

Rassemblant le peu de force qu’il lui restait, par manque de sommeil et de nourriture, Steven se leva péniblement de son lit en gémissant, se trainant jusqu’à la porte. Il se mit à taper dessus, d’abord avec un semblant d’énergie, puis de plus en plus faiblement. Personne ne vint et comme quatre jours plus tôt, il resta seul. Tentant le tout pour le tout, Steven se saisit de la poignée de la porte pour essayer de la débloquer et surprise, après un clic, elle déverrouilla. Dans sa colère, son père avait oublié de fermer la fermer à clef.

Craintif, Steven ouvrit lentement la porte. Il ne pouvait s’empêcher de penser que tout ceci n’était qu’une mauvaise blague orchestrée par son père pour lui faire du mal. Après tout, il n’avait jamais commis une erreur pareille. Pourtant, de l’autre côté de la porte, il n’y avait personne. Le silence régnait dans la cage d’escalier menant à l’étage supérieur. Étage auquel il avait eu très peu d’occasions de se rendre durant sa courte et pénible vie.

Il n’y était autorisé qu’à l’heure des repas et il avait fallu de longues heures de supplications pour obtenir un tel privilège. Pourtant, après s’être tant battu pour pouvoir quitter la cave trente minutes à chaque repas, Steven n’avait plus été sûr que c’était ce qu’il souhaitait.

Ces moments étaient loin d’être des moments de joie et de plaisir partagés avec sa famille. Au contraire, sa souffrance s’était multipliée par trois. Par trois parce que, d’une, son père redoublait de cruauté à ces occasions. C’était son prix à payer pour imposer une telle vision d’horreur au reste de la famille. De deux, sa sœur, qui était semblable à son père, ne manquait aucune de ces occasions pour le martyriser. Elle ne supportait pas l’existence de son petit frère monstrueux. Et de trois, pour couronner le tout, Steven était prié de manger par terre, au pied de la table, comme un chien, ce que sa famille considérait qu’il était. Cette triple humiliation faisait que Steven regrettait amèrement d’avoir un jour osé demander le privilège de partager ses repas avec sa famille.

C’est pour ça qu’il était si hésitant et craintif devant cette vieille cage d’escalier. La peur au ventre, il n’osait pas avancer d’un pas. Ce n’est qu’au bout de longues minutes qu’il osa poser un pied sur la première marche. Celle-ci craqua, Steven prit peur, retira son pied et courut se cacher sous son lit.

Un long moment passa, Steven n’entendant plus aucun bruit, se munit du peu de courage qu’il avait pour répéter l’action qu’il avait exécuté plus tôt. À nouveau, posant son pied sur la première marche, celle-ci craqua, mais il comprit qu’il n’y avait pas de danger, alors il continua son ascension, mais toujours avec prudence.

Il arriva enfin devant la porte qui lui permettrait de sortir définitivement de sa cave. Pas une minute il n’avait pensé qu’elle aurait pu être verrouillée et il avait bien fait, parce qu’elle ne l’était pas. La porte grinça légèrement quand il poussa dessus. Mais cette fois-ci, Steven ne prit pas peur.

La frayeur que lui causé la première marche de l’escalier de son ascension vers la liberté et la preuve qu’il n’y avait eu en vérité aucun danger à ce moment-là lui avait causé un regain de confiance en lui.


Steven avança pas à pas, regardant autour de lui, émerveillé, comme s’il n’avait jamais eu l’occasion de poser les yeux sur l’étage supérieur de sa maison avant ce jour. C’était à peu près le cas d’ailleurs, car même s’il avait eu la permission de partager ses repas avec sa famille, il n’avait encore jamais pu observer attentivement les alentours, ayant été beaucoup trop craintif pour ne serait-ce que lever les yeux plus de quelques secondes d’affilées.

La décoration de la maison avait beau être lugubre, tout comme ses occupants, c’était la plus belle chose que Steven ait eu l’occasion de voir au cours de sa courte vie. C’était en tout cas une nette amélioration par rapport à la cave qui lui servait de chambre.

Sans hésitation, Steven se dirigea vers la cuisine. Son ventre n’arrêtait pas de gargouiller douloureusement depuis un moment, il fallait absolument qu’il se mette quelque chose sous la dent. Justement, sur la table de la cuisine se trouvaient les restes du dîner que venaient de partager les autres membres de sa famille, sans lui. Tout avait l’air tellement appétissant, bien qu’il ne se fût agi que de mets banals et déjà entamé de surcroit. Toutefois, dans son état de famine, Steven aurait pu manger n’importe quoi.


Avant d’atteindre un des plats qui se trouvaient sur la table, il fut interrompu par une série de rires provenant de la pièce voisine. Sa famille. Intrigué, il décida de faire demi-tour, laissant derrière lui la nourriture dont il avait longuement rêvé, et de se rendre vers la source de temps de joie. Dans le salon, sa famille au complet était réunie devant la télévision. Ils étaient tous assis sur le même divan miteux vert anis en vieux velours, un plateau repas copieusement rempli sur leurs genoux.

Steven en eut le cœur brisé et tout d’un coup, quelque chose changea dans le plus profond de son être. Il ressentit une énorme colère, une grande rage monter en lui. La vision de cette famille parfaite qui profitait d’un bon repas lui fit se rendre compte le peu d’importance qu’il devait avoir aux yeux de ses parents et de sa sœur. Jamais encore n’avait-il été témoin aussi abruptement du bonheur de ses proches sans lui. Il n’y avait jamais eu que de la colère et de la violence lorsqu’il était présent. Cette scène, à laquelle il assistait, était totalement inédite pour lui et elle ne lui plaisait pas du tout.


Steven retourna dans la cuisine avec dégoût, la haine pouvant se lire dans ses moindres faits et gestes. Il se sentait perdu et ne savait plus quoi faire, lui qui il y a encore un moment se sentait si euphorique d’avoir quitté sa cave. C’est alors que ses yeux se posèrent sur un couteau, un énorme couteau posé sur un des plans de travail. Il s’en saisit sans hésitation, l’observant avec fascination. Jamais de sa vie il n’avait encore vu un si bel objet.

Et tout d’un coup, tout lui sembla évident. Il retourna dans le salon, où sa famille était toujours en train de s’esclaffer devant la télévision et s’approcha discrètement d’eux, bien que cela n’eut en réalité aucune importance. Sa famille était bien trop absorbée par les images qui défilaient devant leurs yeux sur le poste de télévision pour se rendre compte de sa présence. De plus, Steven était censé être enfermé dans la cave, ni ses parents, ni sa sœur n’avaient de raisons de se préoccuper de lui.

Pourtant, ils auraient dû. Leur insouciance rendit la tâche beaucoup plus facile à Steven. Il s’approcha d’abord de sa sœur qui se trouvait à l’extrémité gauche du divan. Il ne l’avait jamais aimée. Quand il se trouva derrière elle, il lui trancha la gorge d’un geste sec et précis, comme s’il avait fait cela toute sa vie. Elle n’émit pour seul bruit qu’un gargouillis dégoutant, tout en se vidant de son sang. Son père et sa mère ne remarquèrent rien.

C’était ensuite au tour de sa mère, qui se trouvait de l’autre côté du divan, à l’extrémité droite. Cette lâche qui n’avait jamais oser prendre sa défense. Il lui trancha la gorge de la même manière qu’il venait juste de le faire à sa sœur. Son père, ce nigaud, ne remarqua rien. Ni sa fille ni sa femme, toutes les deux en train de se vider de leur sang à côté de lui.

Steven se sentait électrisé, c’était une sensation nouvelle pour lui. Jamais de sa vie il ne s’était autant amusé. Il avait pris un réel plaisir à trancher la gorge de ses deux premières victimes, mais pour le dernier survivant, il avait décidé de procéder autrement. Contournant le divan, Steven se plaça devant son père et, confus, celui-ci mit quelques secondes à comprendre ce qui était en train de se passer. Quelques secondes de trop, car avant qu’il n’ait eu le temps recouvrir ses esprits et de se mettre proprement en colère contre son rejeton qui avait désobéi à ses ordres et était sorti de sa cave, Steven se rua sur lui, le transperçant d’un nombre indéterminé de coups de couteau.

Bientôt, tout fut terminé, sa dernière victime était morte. Pourtant, Steven se déchaina encore et encore sur le corps sans vie de son père, jusqu’à ce que sa colère soit enfin passée. Puis, tout fut vraiment terminé, Steven était libre. Il était libre, mais il mourrait de faim. Et, en regardant toute cette chaire fraiche et le sang qui en coulait, l’eau lui monta à la bouche. Tout d’un coup, rien ne lui semblait plus appétissant que ces trois cadavres gisant sur le canapé.

Toujours euphorique des évènements qui venaient d’avoir lieu, en plus d’être affamé, Steven se jeta d’abord sur le corps de son père le plus gros des trois. Il lui servirait de plat principal, sa sœur et sa mère de dessert. Si son n’apparence n’avait jamais rien eu d’humaine maintenant, il avait le comportement d’une bête féroce pour aller avec et il devint, dans tous les sens du terme, un monstre exécrable et cruel.

Il arracha la chaire du corps de son père avec ses dents et la mangea avec frénésie. Et ainsi de suite, encore et encore jusqu’à ce qu’il ne se sente rassasié, mais pas tout à fait pour avoir encore un peu d’appétit pour sa sœur et sa mère. C’est d’ailleurs avec cette dernière qu’il commença. Il fut d’une extrême violence avec elle. Si Steven avait dévoré une grande partie du corps de son père, il se contenta d’engloutir uniquement le visage de sa mère, allant même jusqu’à manger ses yeux, tout ça avec beaucoup de haine. Il termina son repas avec sa sœur, bouffant ses seins, tendres et moelleux. C’est seulement après ça qu’il se sentit entièrement repu.

Quelques minutes passèrent avant que Steven ne se lève du corps de sa sœur où il s’était allongé un moment pour digérer. Tournant son visage vers le couloir, ses yeux se posèrent sur la porte d’entrée, objet de toutes ses convoitises puisqu’il n’avait jamais eu la permission de découvrir ce qui se cachait de l’autre côté : le monde extérieur.

Mais maintenant, il était libre et il allait enfin pouvoir voir le monde. Steven se mit à rire incroyablement, un rire hystérique qui correspond parfaitement bien au monstre qu’il était en train de devenir. Jamais il n’avait été aussi heureux qu’à ce moment précis. Il se sentie réellement vivant pour la première fois de sa courte existence. Sans perdre une minute de plus, il boitilla le plus rapidement possible jusqu’à la porte d’entrée, laissant derrière lui les trois cadavres déchiquetés de sa famille. Son cœur se mis à battre à tout rompre quand il posa la main sur la poignée et la fit pivoter.

Un vent glacial vint souffler sur le visage de Steven quand il ouvrit la porte, de telle façon qu’il la referma immédiatement en un claquement assourdissant. Un manteau, il lui fallait un manteau, pensa-t-il. Alors, il se mit prestement à chercher un manteau, ce vêtement précieux qui lui permettrait enfin de réaliser son désir le plus profond. Il fureta un long moment dans la penderie qui se trouvait non loin de la porte d’entrée avant d’enfin tomber sur quelque chose qui pourrait lui convenir. Un long manteau noir avec une large capuche. Il l’enfila avec hâte, ne s’inquiétant pas une seconde de qui, parmi les membres de sa famille, en avait été le propriétaire avant lui.

Avant de quitter définitivement sa maison, Steven rabattit la large capuche sur sa tête pour se protéger du froid glacial qu’il faisait dehors. De cette manière, il cacha également son horrible visage difforme, le masquant, par la même occasion, à la vue de quiconque il aurait pu croiser une fois qu’il aurait quitté son domicile à jamais. C’était un geste nécessaire dans son cas, bien que non-intentionnel, pour ne pas effrayer les inconnus qui auraient pu se trouver sur son chemin.

L’air glacial typique d’une soirée d’hiver enveloppa Steven dès qu’il eut mis les pieds dehors. Mais cette fois-ci, il était bien préparé grâce au manteau qu’il avait revêtu et fermé jusqu’à son menton et la large capuche qu’il avait rabattue sur sa tête. Emmitouflé comme il l’était, on aurait pu le prendre pour quelqu’un de tout à fait normal, si ce n’est pour son boitement très prononcé. Steven avança d’abord prudemment, comme s’il craignait que son père n’apparaisse soudainement devant lui et ne déverse toute sa colère contre lui parce qu’il avait désobéi.

Mais, au bout d’un moment, après avoir fait un rot qui avait légèrement fait remonter son festin cannibale, Steven se souvint qu’il avait tué son père et qu’il ne pourrait donc plus jamais lui faire de mal. À nouveau, il se mit à rire hystériquement, incontrôlablement, seul dans la nuit noire de novembre. Quand il se fut calmé, il décida d’explorer un peu les alentours.

Il n’y avait rien, que des arbres ­— des arbres par millier, qui s’étendaient à perte de vue. Alors Steven décida d’aller jeter un coup d’œil un peu plus loin, toujours en boitant sévèrement, mais avec un plus d’aplomb que précédemment. Il était émerveillé par la nature qui l’entourait. Jamais il n’avait vu quelque chose d’aussi impressionnant. Il ne put d’ailleurs s’empêcher de toucher aux arbres qui l’entouraient, le tronc rugueux, les feuilles plus douces et puis les branches.

Steven marcha longuement dans cette forêt, en silence, si ce n’est pour le bruit occasionnel de craquement de branches sur lesquelles il marchait. Et puis le bruit des feuilles qui se mouvaient au rythme du vent. De longues minutes passèrent dans cette ambiance morne. Mais, au bout d’un moment, Steven s’arrêta net dans sa marche, certain d’avoir entendu quelque chose. Tendant l’oreille, seul membre de son corps qui ne lui faisait pas défaut, il écouta attentivement, guettant le moindre bruit.

Quelques secondes plus tard, un autre bruit retentit provenant d’un peu plus loin d’où se trouvait Steven et il ne doutait plus qu’il avait bien entendu quelque chose un instant plus tôt. Il s’agissait en fait d’un sifflement. Comme réveillé par nu instinct primitif, Steven se mit à courir comme une bête sauvage, haletant bruyamment.

C’était une image bien pathétique que ce bonhomme boiteux qui courait, courait, courait, chutant par moments, puis se relevant, cherchant désespérément la source de ce sifflement. Jusqu’à ce qu’enfin, il découvrit d’où provenait le bruit. Un homme était en train de faire ses besoins près d’un sapin tout en sifflotant gaiement un air quelconque. Il était chaudement habillé, emmitouflé dans une couche de vêtement épaisse et bien chaude, une chapka en fourrure sur la tête.

À la vue de cet autre individu, Steven se cacha derrière un énorme tronc d’arbre, effrayé. Jamais encore, il n’avait croisé d’autres êtres humains autres que les trois membres de sa famille. Et cet homme détonnait énormément par rapport à ses proches qui étaient tout en longueur, les traits secs et mauvais, alors que lui était beaucoup plus bourru, le visage empreint de bonté.

Intrigué, Steven s’approcha un peu plus, tentant de se faire discret bien qu’il fût tout l’opposé. Il trébucha à plusieurs reprises, produisant un bruit monstre à chaque fois ce qui alarma l’homme qui était toujours en train de faire ses besoins à son aise près d’un sapin.

- Qui est là ? demanda-t-il, refermant hâtivement sa braguette. Mike, c’est toi ?

Steven se releva le plus délicatement qu’il lui fut possible de sa dernière chute, reculant de quelques pas pour aller se réfugier derrière un grand tronc d’arbre.

- Mike ? répéta l’homme. Arrête tes conneries, je sais que c’est toi, protesta-t-il, avançant avec prudence vers l’endroit d’où il pensait provenir le bruit. Je ne trouve pas ça amusant du tout, sors de ta cachette Mike.

Le silence pour seule réponse, l’homme commença à s’inquiéter. Il ne put s’empêcher de regarder frénétiquement autour de lui, guettant chaque coin obscur de la forêt, à la recherche d’une quelconque menace. Steven observait la scène, de plus en plus intrigué. Le caractère de cet étranger était totalement différent de celui de son père, mais aussi de celui de sa mère et de sa sœur. Bien qu’à certains égards, la frayeur que cet homme manifestait n’était pas sans lui rappeler celle de sa mère face à son père, ou même la peur qu’il avait ressentie lui-même pendant de nombreuses années face à la tyrannie de sa propre famille.

- Mike ! appela à nouveau l’homme.

- Mike, répéta Steven.

- Qui est là ?! cria l’homme après avoir entendu l’étrange voix de Steven.

- Mike, dit à nouveau Steven, encore et encore.

Ce nom étrange qu’il n’avait jamais entendu auparavant, il le prononça indéfiniment, comme pour s’en imprégner un peu plus chaque fois. L’étranger de la forêt était à présent terrorisé. La voix qu’il avait entendue ne pouvait provenir de son ami Mike, il en était convaincu, elle lui avait semblé tellement surnaturel, il en venait même à se demander s’il elle provenait d’un être humain. Il ramassa frénétiquement ses affaires, s’apprêtant à prendre ses jambes à son cou, quand un bruissement de feuille et de bruits de pas le paralysèrent sur place.

Une silhouette s’approchait lentement, celle de Steven qui, ayant pris son courage à deux mains, avait décidé de sortir de sa cachette. Son désir grandissant d’examiner l’homme de plus près avait pris le dessus sur la peur qu’il avait ressenti au début.

Quand l’homme put distinguer plus clairement l’aspect de la silhouette qui s’approchait de lui, un hurlement strident s’échapper du fond de sa gorge. Steven s’arrêta un moment, surpris par l’horrible bruit assourdissant que venait de produire l’homme. Ce n’était pas sans lui rappeler les rugissements qu’il émettait chaque fois que son père lui faisait du mal.

Cela lui avait fait drôle d’entendre ce genre de bruit provenant de la bouche de quelqu’un d’autre que lui. Il avait dû s’immobiliser un moment pour reprendre ses esprits. Quand il fut revenu à lui, il se remit en marche vers l’homme qui était toujours en train de crier comme si sa vie en dépendait.

Lorsqu’il vit Steven, la chose la plus atroce, la plus abominable qu’il n’ait jamais vue, l’homme, effrayé au plus haut point, mais recouvrant quelque peu ses esprits, se saisit d’un couteau qui était accroché à sa ceinture et le brandit devant lui. C’était un couteau assez imposant, bien qu’un rien plus petit que celui qu’avait utilisé Steven pour massacrer sa famille.

À la vue de l’arme, Steven s’arrêta à nouveau, la contemplant avidement. Une voix dans sa tête ne cessait de lui répéter le mot « menace ».

- Ne t’approche pas de moi, espèce de monstre ! cria l’homme, poignardant le vide dans la direction de Steven. Sinon je te tue !


« Monstre », ce mot résonnait à présent dans sa tête à la place du mot « menace ». Et tout d’un coup, la figure de cet étranger prit l’aspect menaçant de celle de son père.

- Tu n’es qu’un monstre, cracha son père. Une abomination, une erreur ! Tu me dégoûtes. J’ai envie de m’arracher les yeux chaque fois que je te vois, tellement tu es ignoble.

- Arrête, s’il te plait papa, arrête ! pleura Steven.

- J’aurais dû te tuer quand t’étais qu’un mioche. Une horreur comme toi n’a pas sa place dans notre monde.

- Tais-toi ! Tais-toi !


L’étranger, son couteau toujours pointé dans la direction de Steven, ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Cette abomination qui se trouvait devant lui était en train de perdre la tête, ce qui le rendait d’autant plus effrayant.

Steven était toujours en train de hurler vers celui qu’il prenait pour son père, quand, levant ses yeux, qu’il avait posés sur le sol, trop apeuré que pour regarder son géniteur en face, il crut apercevoir sa sœur. Oui, c’était bien elle, sa sœur, derrière son père. Elle était debout, les bras croisés, un regard mauvais peint sur le visage. Et alors, elle se mit également à l’insulter. Steven n’y comprenait plus rien. Comme un fou furieux, il se tapa les poings sur la tête, encore et encore, suppliant ses deux bourreaux pour qu’ils ne cessent de le tourmenter.

Puis, au bout de ce qui sembla être une éternité à Steven, tout bruit cessa instantanément et se fut le calme le plus absolu dans la forêt. Son père et sa sœur s’étaient enfin tu alors Steven les observa. Ils étaient tous les deux immobiles, leur bouche grande ouverte, comme si le temps s’était arrêté sur eux.

Un bruit détourna l’attention de Steven. À gauche de la silhouette de son père, une autre personne venait d’apparaitre. Il ne lui fallut que quelques secondes pour la reconnaitre, c’était sa mère. Elle avançait lentement vers lui, dans le silence le plus total. Arrivée à la hauteur de son fils, elle posa la main sur sa joue.

- Ma… maman ?

Un sourire se dessina sur les lèvres de sa mère. Approchant sa bouche de l’oreille de son fils, elle lui chuchota quelque chose, après quoi, les jambes de Steven se mirent à trembler incontrôlablement. Un rire mauvais, cynique, cruel, le ramena à la réalité. C’était celui de sa mère. Elle se moquait de lui, son abominable progéniture, tout en reculant, allant rejoindre les deux autres, qui s’étaient également mis à rire.

Et alors, ce n’était plus sa famille que Steven avait en face des yeux, mais des cadavres répugnants. Des corps mutilés, ensanglantés, à moitié dévorés. Cette vision l’insupporta. C’était comme s’il avait oublié que ce spectacle macabre n’était que le résultat de ses propres actions abominables. Il émit une sorte de rugissement inhumain avant de se précipiter comme un fou furieux vers l’étranger qu’il prenait toujours pour son père.

Steven se jeta de tout son poids sur l’homme, qui était resté paralysé de peur à cause de la scène de folie et du rugissement inhumain qu’il venait de produire. Et comme il tenait toujours le couteau pointé devant lui, Steven se le prit de plein fouet dans la poitrine. Mais comme si la douleur ne pouvait plus l’atteindre dans sa folie, il le retira aussi facilement que s’il avait été planté dans du beurre et il poignarda avec acharnement l’homme qui s’était écroulé par terre sous son poids.

Les hurlements de la victime se transformèrent rapidement en un gargouillement dégoutant provenant de sa bouche ensanglantée. Steven le poignarda encore et encore, ne pouvant plus s’arrêter, déversant toute sa haine sur cet étranger qu’il prenait toujours pour son père. Il lui fallut 66 coups de couteau pour parvenir à se calmer.

C’est à ce moment-là que, pour la première fois, ayant recouvert ses esprits, il se rendit compte que ce n’était pas son père qu’il avait été en train d’éventrer, mais cet étranger qu’il venait de rencontrer par hasard dans la forêt. Horrifié par ce qu’il venait de faire, Steven recula précipitamment du cadavre, trébuchant sur sa cape noire avant de s’étaler par terre sur son dos.

La respiration de Steven se faisait de plus en plus haletante, il ne parvenait pas à se calmer. La frontière entre la réalité et le cauchemar s’était brouillée, il n’arrivait plus à distinguer le vrai du faux.

Son père, qu’il venait de tuer pour la seconde fois, n’était en fait pas vraiment son père, mais un vulgaire étranger, probablement un chasseur. Steven était perdu dans ses pensées cauchemardesques, quand un bruit vint soudainement l’en arracher. Quelqu’un approchait. Il se redressa quelque peu, une douleur lancinante lui arracha une grimace, le rendant encore plus effrayant qu’il ne l’était déjà.


C’est alors que, dans le calme de la forêt, surgit un cri, un cri tellement affreux que Steven ne put s’empêcher de crier à son tour.

- Dave ! Dave ! Oh mon Dieu ! pleura une voix non loin. Monstre ! Vous n’êtes qu’un monstre !


Steven se redressa tant bien que mal, essayant de s’expliquer auprès du nouvel arrivant, mais tout ce qui sortait de sa bouche n’était que bégaiement incompréhensible. Il avait toujours le couteau avec lequel il venait de tuer le dénommé Dave dans sa main. Quand l’autre homme le remarque, il cria une seconde fois, avant de se précipiter dans les profondeurs de la forêt, disparaissant de la vue de Steven dans l’obscurité.

- Non, attendez, supplia Steven. Je ne suis pas un monstre !


Avec beaucoup de difficultés, il se releva complètement, sans lâcher le couteau et il se mit à la poursuite de l’homme qui venait de prendre la fuite. Bien que Steven n’eût aucune idée de la direction qu’il devait emprunter, il se mit à courir à en perdre haleine, toujours en boitant violemment. Il chuta, s’étalant de tout son être sur le sol, se releva, et cela, à plusieurs reprises, reprenant ensuite sa route à l’aveuglette.

C’est alors qu’il finit par arriver sur une route et, non loin, il y avait des maisons, beaucoup de maisons. Steven en fut tellement surpris, qu’il s’arrêta brusquement dans sa course. Il n’avait encore jamais rien vu de semblable. C’était tellement beau, toutes ces petites habitations, absolument merveilleux. Steven en fut ému, lui qui avait vécu toute sa vie cachée dans la cave de sa maison. Il voyait enfin le monde, la civilisation.

Ne pouvant plus contenir son excitation, Steven se mit en route vers le village. Toutes ces maisons, les gens qui y vivaient l’appelaient, rien ne pourrait l’empêcher d’aller à leur rencontre.

Tout était si fantastique, si nouveau et il y avait des gens dans les rues, beaucoup de gens qui se promenaient. Steven n’en avait jamais vu autant, il sautillait sur place, tant son euphorie était grande. Il se précipita à leur rencontre, oubliant les meurtres qu’il tenait toujours le couteau qui lui avait servi à tuer l’homme dans la forêt à la main.

Dans son engouement, la capuche qu’il avait rabattue sur sa tête retomba sur ses épaules, laissant apparaitre son horrible visage. Mais Steven ne s’en préoccupa pas non plus. Rien n’aurait pu entraver sa joie et l’empêcher d’aller se faire de nouveaux amis.

Il se présenta devant de nombreuses personnes et elles étaient contentes de le voir. Tout le monde le saluait, rigolait avec lui, bavardait gaiement. Ou du moins, c’était ce que Steven croyait, c’était ce qu’il voyait. Mais la vérité était toute autre et bien plus obscure. C’était le chaos partout dans le village. Tout le monde paniquait, courait dans tous les sens, des cris retentissaient çà et là.

Dans son enthousiasme à se faire de nouveaux amis, Steven ne s’était pas rendu compte de l’image effrayante qu’il renvoyait — un être sévèrement difforme, boitant lourdement, se promenant avec un énorme couteau à la main, du sang un peu partout sur lui. Si tout cela n’était pas assez pour provoquer la panique, il avait accidentellement lacéré plusieurs personnes en allant à leur rencontre. C’est ça qui avait fini par provoquer le chaos.

Pourtant, Steven, perdu dans un monde utopique, ne remarqua pas l’agitation qu’il provoqua. Il continua à se présenter à toute personne qu’il pouvait croiser, rigolant d’un rire étrange, papotant amicalement.


Mais il fut brutalement ramené à la réalité par un bruit strident. Il n’avait encore jamais rien entendu d’aussi horrible. Il en lâcha son énorme couteau, qui tomba à terre, se couvrant les oreilles de ses deux mains. C’est là qu’il se rendit compte de ce qu’il se passait réellement autour de lui, de toute la panique qu’il avait causé.

Les gens couraient toujours dans tous les sens, se bousculant au passage, certains tombaient même à terre, tout se passant naturellement sous les hurlements de la foule en panique.

Une douleur lancinante traversa soudainement la poitrine de Steven, non loin du coup de couteau qu’il avait reçu un peu plus tôt dans la soirée— un choc électrique. Il en tomba à terre, n’étant plus que souffrance. Il ne ressentait plus rien d’autre que ce mal qui lui traversa tout le corps.

De nombreuses mains étaient en train de le soulever, il ne les remarqua même pas. C’étaient les forces de l’ordre, dont les sirènes avaient surpris Steven alors qu’il était encore dans son monde utopique. L’homme qui avait découvert le corps de son ami dans la forêt avait prévenu la police. Il s’agissait de Mike, celui même que n’avait cessé d’appeler le dénommé Dave avant que Steven ne l’assassine sauvagement.

Mike avait montré le cadavre de Dave aux forces de l’ordre et les officiers étaient immédiatement partis à la recherche du meurtrier. Il n’avait pas été très difficile à retrouver, il leur avait suffi de suivre les bruits de cris de la foule, provoqués par Steven. Il se démarquait d’ailleurs nettement parmi les autres habitants du village, à cause de son apparence hideuse et le couteau ensanglanté qu’il tenait toujours en main.

La décision logique, après avoir retrouvé le meurtrier, avait été de le neutraliser. On lui administra le coup de taser qui l’avait fait s’écrouler à terre pour ensuite le transporter jusqu’à la fourgonnette blindée des forces de l’ordre. C’est là que Steven se réveilla, dans le noir. Il crut d’abord être de retour dans sa cave et pris de panique, malgré la douleur, il se précipita vers les barreaux au fond du véhicule et se mit à hurler : « Il faut que je sorte d’ici ! », toujours de plus en plus fort. Et puis : « Laissez-moi sortir ! », encore et encore.

Mais déjà, les officiers étaient remontés dans la camionnette, ignorant complètement les cris de leur prisonnier. Ils mirent le véhicule en marche, en route vers le poste de police où ils laisseraient ce fou furieux pourrir dans une cellule jusqu’à la fin de sa vie.

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